C’est avec ce cri de triomphe que les deux assassins de Charlie
Hebdo auraient célébré le massacre qu’ils
venaient de perpétrer, froidement, posément, tranquillement,
dans les bureaux du journal satirique. Au moment de boucler le numéro
22 des Cahiers Mirbeau nous parvient cette nouvelle insensée,
qui suscite tout à la fois de l’incrédulité,
de l’horreur, de l’indignation, de la colère, et
le désir irrésistible de crier de nouveau : « Plus
jamais ça ! »
Douze
personnes sans défense ont été lâchement
abattues par deux tueurs super-équipés et super-entraînés,
au nom de leur dieu et de leur « prophète »
à « venger ». Parmi elles, un économiste
alternatif et anti-“libéral”, Bernard Maris, et cinq
dessinateurs, Charb, Cabu, Tignous, Honoré et Wolinski, qui,
par leurs dessins démystificateurs, avaient eu l’audace
de faire entendre une voix dissonante et de recourir à l’humour,
à la caricature et à la dérision pour désacraliser
les institutions oppressives et les “valeurs” aliénantes,
au premier rang desquelles toutes les religions, avec leurs fanatiques
de toutes obédiences, qui, depuis des millénaires, ont
servi et servent encore à bénir les pires monstruosités,
perpétrées de par le monde en toute bonne conscience et
en toute impunité.
À travers eux, ce n’est pas seulement la liberté
de la presse qui a été visée, cette liberté
sans laquelle il ne saurait y avoir le moindre espace de démocratie.
Mais c’est aussi la laïcité à la française
qui, même mise à mal par nos politiciens, n’en continue
pas moins à garantir au pays de Voltaire l’exercice de
la pensée critique sans avoir à subir les pressions et
les interdits des religions instituées. Et, par-delà l’irremplaçable
laïcité de notre État, c’est la pensée
elle-même que les terroristes de l’obscurantisme ont voulu
carrément interdire, car ils savent bien que la pensée,
exercée librement, est totalement incompatible avec la manipulation
des cerveaux qui leur est indispensable pour parvenir à leurs
fins criminelles.
Les amateurs d’Octave Mirbeau sont d’autant plus bouleversés
et révoltés par ces crimes abominables que leur écrivain
de prédilection, humaniste, pacifiste, libertaire et anticlérical
invétéré, s’est toujours battu contre tous
les formatages de l’individu par des sociétés oppressives
et aliénantes et pour l’émancipation de la pensée
grâce à un enseignement scientifique, rationnel et radicalement
matérialiste. Les humoristes et satiristes de l’anticonformiste
Charlie Hebdo, tout aussi incorrects politiquement, ont poursuivi, avec
l’arme de l’humour, du rire et du dessin, le difficile combat
que Mirbeau menait à son époque, avec l’arme des
mots, de l’ironie et de l’indignation. La barbarie de leur
assassinat nous est donc particulièrement douloureuse.
On croyait révolue l’ère des fanatismes meurtriers,
de l’Inquisition, des croisades, des autodafés et des guerres
de religion qui ont ensanglanté l’Europe. Mais «
fécond est encore le ventre d’où a surgi la bête
immonde », comme le rappelait, citant Brecht, l’historien
Jean-Yves Mollier dans un récent article prémonitoire
du Monde, qui se concluait ainsi : « Le fascisme ne passera
pas si les citoyens en décident autrement et si chacun consent
à appeler un chat un chat et un djihadiste façon Al Qaida
ou Daech un assassin de la liberté et un fasciste du XXIe
siècle. »
Morts au champ d’horreur, Charb, Honoré, Tignous, Cabu
et Wolinski ne sont plus. Mais leur sacrifice n’aura pas été
inutile s’il suscite, non seulement une solidarité internationale,
mais aussi une prise de conscience massive et une révolte générale
chez nos concitoyens afin de sauvegarder la pensée libre. Alors
les assassins de la liberté n’auront pas réussi
à tuer Charlie Hebdo !
Nous sommes tous Charlie !
Pierre Michel
7 janvier 2015